Ado et trisomie 21 Institut Lejeune

Adolescence, sexualité

Comme nous, les personnes ayant un déficit mental sont corps et âme. Ce ne sont pas des anges, ce ne sont pas des démons ! Ce sont des petits garçons qui vont devenir des hommes, ce sont des petites filles qui deviennent des femmes et cela va très vite… Ils ne restent pas des enfants, comme beaucoup de parents et de professionnels voudraient le croire et même si leur niveau mental correspond, selon les tests, à celui d’un enfant.

Je pense qu’il faut, surtout, ne pas aller trop vite et ne pas aller trop loin…

Les jeunes vont vivre toutes les interrogations, toutes les angoisses, toutes les incertitudes de la crise d’adolescence avec plus de difficultés que les autres adolescents car ils auront du mal à exprimer ce qu’ils ressentent. Les craintes, les angoisses qu’ils provoquent dans l’entourage familial, social, institutionnel, risquent d’aggraver, en retour, leur déstabilisation.

Il ne faut pas avoir peur de parler avec eux des transformations de leur corps au moment de la puberté. Il y a une manière de le faire, dans le respect de leur pudeur. L’idéal est que les parents le fassent à la maison et que les professionnels tiennent le même discours.

Ces adolescents vont vivre toutes les interrogations, toutes les angoisses, toutes les incertitudes de la crise d’adolescence avec du mal à exprimer ce qu’ils ressentent. Les craintes, les angoisses qu’ils provoquent dans l’entourage familial, social, institutionnel, risquent d’aggraver, en retour, leur déstabilisation.

Il faudra accompagner ces adolescents avec encore plus de bienveillance en n’oubliant pas que l’estime de soi passe par la considération que l’on perçoit dans le regard des autres. Ne jamais humilier, ridiculiser ; respecter la pudeur innée ; ne pas culpabiliser ; aider l’adolescent à prendre conscience de ses nouvelles possibilités mais également de ses limites. Le laxisme, à ce moment-là, est très souvent l’expression d’une démission. On ne veut pas prendre parti, alors on tente de trouver des solutions qui ne font que reculer la prise en charge des vrais problèmes.

Il peut se croire un caïd à qui tout réussi, « grand, moi ; fort, moi », dit-il en gonflant ses biceps ou en montrant le duvet de sa moustache, « comme papa… » ; et pourtant, il va lui falloir se contenter de ce qu’il peut faire, dans tous les domaines. Pour un autre, plus craintif, ce sera, au contraire, un constat d’échec permanent, « moi peux pas », une sorte de paralysie devant toute nouveauté. Dans les deux cas, il va falloir accompagner cette souffrance, dans la vérité : « C’est vrai, tu ne peux pas faire cela pour l’instant… mais tu peux faire ceci… tu ne peux pas conduire une auto, une moto, mais tu peux faire du vélo… »

Ne pas laisser faire n’importe quoi, n’importe comment, respecter le goût du risque mais après avoir délimité, ensemble, la marge de sécurité raisonnable et être intransigeant dans le respect de cette convention prise en commun. Lui permettre de dire ses angoisses, sa souffrance, ses désirs dans le respect de son secret intérieur (ne jamais en parler devant lui à des tiers sans son accord). Lui permettre de rencontrer, seul, celui ou celle en qui il a confiance, avec lequel il peut partager. Lui permettre de s’estimer – on ne peut pas aimer les autres si on se déteste soi-même.

Il ne s’agit, en aucun cas, de gommer, de masquer le handicap, de tricher. Ce handicap, ils l’ont, ils le portent, ils le supportent et revendiquent le droit et les moyens de vivre avec… à nous de ne pas les décevoir ! Cette crise d’adolescence, car il s’agit bien d’une crise, tous les parents la redoutent et voudraient bien en faire l’économie, la nier… « Des manifestations sexuelles, des désirs… mais, ils n’en ont pas ! Ce sont des enfants ! » disent-ils. Mais non ! Ils sont comme tout le monde et de ce côté-là, ils sont parfaitement normaux !

« N’insistez pas, il ne comprend pas, c’est un enfant ! » « Ils ont droit au plaisir comme tout le monde ! » Voilà ce que l’on entend en famille, dans les institutions, à la consultation.

Si nous sommes si mal à l’aise face à ces extrêmes, c’est parce que s’il est toujours difficile d’établir une relation véritable avec les personnes déficientes mentales, la crise d’adolescence rend les choses encore plus compliquées.

Face à la masturbation, au manque de pudeur, à l’exhibitionnisme, faut-il fermer les yeux ? Interdire ? Menacer ?

Au-delà des interdits moraux rigides, au-delà de l’alternative “laxisme ou répression”, il faut privilégier une rencontre seul à seul avec la personne afin de la rejoindre dans ce qu’elle vit. Il est souhaitable que l’adolescent puisse avoir sa chambre à lui et, alors, il faut respecter son domaine dans lequel nous ne pouvons entrer sans y être invités. Lui seul peut nous indiquer les frontières invisibles entre une trop grande distance et une proximité déplacée. Respecter l’intimité de sa personne dans toutes circonstances, respecter son corps, sa pudeur, mais aussi son « jardin intérieur », ses secrets, ses souffrances en ne les évoquant qu’avec sa permission.

Les personnes porteuses d’une déficience intellectuelle ont-elles des désirs sexuels ? Leur sexualité est-elle normale ?

Ils ne sont ni anges, ni démons ; ils sont des personnes humaines à part entière, sexuées, hommes ou femmes jusque dans leurs fibres les plus profondes. Comme pour nous tous, enfants, adolescents, adultes handicapés ou non, leur sexualité exprime le besoin fondamental d’aimer et de se savoir aimé et c’est sur ce chemin de l’amour qu’ils peuvent assumer leur propre sexualité. Pour eux aussi l’amour est possible, qu’il s’appelle intimité, secrets partagés, activités communes, loisirs choisis ensemble. Le problème du célibat n’en est pas résolu pour autant et peut générer des moments de dépression ou de révoltes qu’il nous faut accompagner, nous, parents ou professionnels.

Se sentir choisi(e) parmi d’autres, choisir celle que l’on veut protéger, avec qui l’on veut cheminer, pouvoir être reconnu(e) comme “l’élu(e)”, tout cela permet un passage harmonieux vers l’âge adulte. Pauvre au niveau de ses performances, ayant souvent vécu beaucoup de rejets, la personne porteuse d’une déficience intellectuelle doit faire l’expérience d’une relation affective heureuse pour combattre l’image cassée d’elle-même. Elle est alors riche de tout ce qu’elle vit avec ceux qu’elle aime et qui l’aiment.

Les filles ont des règles et peuvent rêver d’avoir un mari, un bébé à elle. Les garçons trouvent les femmes belles et, en général, ont bon goût (quand ils me parlent de leurs éducatrices il y a, très souvent, la belle et l’autre). Ils aiment caresser. Ils ont des érections et des éjaculations. Leur vie sexuelle est, pour la plupart, solitaire ; la masturbation est d’autant plus fréquente et se poursuit d’autant plus longtemps que le déficit mental est sévère. Ces adolescents, ces jeunes adultes ne sont pas, pour autant, des monstres, comme certains le pensent.

Quand on a peur que la sexualité n’échappe au contrôle d’une trop faible raison, d’une trop faible volonté, quand on a peur qu’elle ne devienne déchaînée ou encombrante… alors on propose systématiquement des mesures radicales (traitement psychiatrique, pilule, stérilisation des hommes et des femmes).

Mais l’angoisse est mauvaise conseillère. Nier la sexualité, c’est la rendre explosive. Il faut apprendre à l’apprivoiser, à la socialiser. Il faut donner aux enfants, et cela dès le plus jeune âge, les règles de la bienséance, les bonnes manières : on n’embrasse pas tout le monde et n’importe qui, on ne se déshabille pas n’importe quand et devant n’importe qui…

La solution n’est pas dans l’enfermement au sein d’un nid clos, du cocon familial. Certains pensent que l’affection de papa, la tendresse de maman, suffisent à cette fille, à ce garçon devenus adultes. Mais non ! Ils risquent, tout simplement, de s’enfermer avec leur enfant dans une relation étouffante où toute autre personne est exclue. Je n’oublierai jamais le cri de souffrance d’un vieux couple qui m’amenait, pour la première fois, leur fils unique, handicapé mental, âgé de 45 ans parce que, m’ont-ils dit, « nous sommes devenus ses otages ». Ils se détestaient tous les trois, réciproquement, depuis très, très longtemps.

On peut transformer, sublimer les pulsions naturelles, normales, de ces jeunes. Je ne dis pas que c’est facile, que cela se fait sans souffrance, mais je dis que cela est possible car cette énergie est malléable. Au cours des années, elle change de forme, d’objet. Elle peut être orientée vers des activités valorisantes (sport, théâtre, équitation, escalade, musique), activités d’autant plus équilibrantes que les adolescents y trouvent un plaisir partagé avec d’autres adolescents.

Mais il reste, surtout chez les personnes atteintes d’un handicap dit « léger », une grande souffrance lorsqu’ils cherchent une âme-sœur avec qui partager, une personne à aimer… comme le font les frères et sœurs… comme, le croient-elles, cela se fait à la télévision, sur les affiches du cinéma ou du métro…

Si on se moque, si on réagit brutalement, si on ferme la porte, alors l’adolescent risque une crise très profonde. Sa souffrance est véritable, elle est celle d’un adulte et non celle d’un enfant qui va vite oublier… La souffrance des parents, leur inquiétude légitime, tout cela est parfaitement réel. C’est à nous, éducateurs, médecins, amis, grands-parents peut-être, d’accompagner cette souffrance, d’écouter, de consoler… et de recommencer !

Laissez au temps le temps de faire son œuvre : le jeune comprendra intuitivement ce qui peut se faire et ce qui ne doit pas se faire à partir du moment où l’on aura su respecter en lui le secret qui donne à sa personnalité sa dignité et lui confère le droit d’être reconnu comme une personne à part entière.

Il y a quelques mois, je recevais une carte de Gaëlle, jeune fille porteuse de trisomie 21 de 26 ans : « Je continue à travailler au CAT : je fais la cuisine et mon chef me dit que je travaille bien. Je suis très contente de moi. J’aimerais rencontrer un garçon qui soit sérieux, qui me trouve belle et qui me le dise, qui me comprenne et qui parle sérieusement avec moi. Je veux aussi qu’il éprouve des sentiments pour moi. »

Gaëlle veut être choisie, elle veut être l’élue, c’est très clair. Elle sent, elle sait que c’est sérieux. Elle veut que ce soit dit, reconnu… mais y a-t-il un désir de bâtir quelque chose en commun et pour quel avenir ? Quand ils disent : « Je veux me marier » cela reste, me semble-t-il une formule très vague… c’est pour faire, pour être, comme les frères et sœurs, comme tout le monde. Par contre, quand il y a effectivement un « copain », une « copine » réel il y a, surtout chez les filles, un désir, une volonté d’exclusivité absolue : « c’est mon copain » et malheur à celle qui tente de le prendre ! Certaines vivent de véritables drames quand elles se sentent trompées ; elles sont alors capables d’une profonde haine pour celle qui a pris l’élu de leur cœur… ce n’est pas un petit chagrin comme le pense certains parents mais une souffrance d’adulte, déchirante.

Je pense que, malgré leur déficit mental, ces garçons et ces filles sont capables d’une certaine fidélité, d’un véritable attachement à l’autre leur permettant de faire de très gros efforts pour que l’autre soit fier de son choix : efforts pour maigrir, pour se tenir mieux à table, pour gagner une compétition. Ces « couples » sont souvent des amis d’enfance qui ont pris l’habitude de s’aider mutuellement, avec beaucoup de respect, de délicatesse. Il y a des baisers, des caresses, des sourires de connivence mais, au moins chez les personnes porteuses de trisomie 21, cela en reste là. La relation sexuelle n’est pas évoquée. Dans un foyer de vie en Belgique, les éducateurs ont proposé à un jeune homme et une jeune fille porteurs de trisomie 21 de partager pendant un an le même lit, dans une chambre où ils étaient seuls… à la fin de l’année, la jeune fille était toujours vierge. Ils semblaient l’un et l’autre très heureux et sont restés « copains » à leurs yeux et aux yeux de tous. Je ne pense pas que cela soit vrai pour d’autres causes de handicap. La relation sexuelle, quand elle est tentée est, bien souvent, incomplète si j’en juge par les confidences reçues.

Si le désir d’union, de vie à deux est clairement exprimé, il faut prendre le temps d’écouter, sans juger, d’accompagner les rêves, les fantasmes, sans casser l’espérance d’un véritable lien privilégié, d’un réel partage. Mais il faut, avec tact, délicatesse, respect, en prenant le temps nécessaire, revenir à la réalité. La vie à deux est faite de concessions… cela est difficile pour des personnes normalement constituées, nous ne le savons que trop ; cela est, certainement, encore plus  difficile si l’un des membres du couple souffre d’un déficit mental, à plus forte raison si les deux en sont atteints. En les mettant face à des situations concrètes, ils réalisent très bien tout cela… l’aspect financier doit également être envisagé avec eux. Dans le film Le Huitième Jour, il y a une scène bouleversante : lorsque Georges caresse sur la joue sa petite amie avec une infinie tendresse et beaucoup de bonheur, la jeune fille, rayonnante elle aussi, lui dit doucement : « tu ne vas pas plus loin » ; Georges la regarde : « Papa va plus loin »… « Mais Papa a une voiture ! », lui répond-elle. Tout est dit. Georges comprend, comme elle, que pour faire comme papa et maman, il faut des sous !

Pour finir, je vous livre la définition du mariage d’après Bruno, porteur de trisomie 21, que je connais depuis sa naissance, en 1958, et qui a aimé tendrement une jeune fille, porteuse de trisomie 21 elle aussi : « Le mariage, c’est être bien, à côté ».